Les amoureux de Venise le sont aussi de Carlo Scarpa. Et même s’ils ignorent parfois qui est cet architecte italien, ils suivent à la trace son œuvre dans l’entrelacs des canaux et des places vénitiens. Au détour des arcades de la place Saint-Marc, ils regardent, étonnés, par la vitrine de la boutique Olivetti, son escalier fait de palettes de marbre et de jeux de lumière. À la Fondation Querini-Stampalia, ils observent l’astucieux système conçu pour protéger le hall du palazzo d’une éventuelle acqua alta. En un mot, Carlo Scarpa est partout à Venise !
Carlo Scarpa, l’éternel discret
Né en 1906 à Venise, la relation intime que Carlo Scarpa va entretenir toute sa vie avec sa ville rend son œuvre indissociable de Venise. " Beaucoup de voyageurs le connaissent sans l’avoir identifié ", a écrit le critique d’art André Chastel. En effet, ce touche-à-tout de génie n’a que discrètement marqué de son empreinte, les vestiges - parfois fanés, de la Sérénissime.
Dans cette ville où tout est figé par la beauté, Carlo Scarpa a dessiné des œuvres qui s'imbriquent dans le passé, le respectant au point de le réinventer. Ironie de sa démarche : autant le visiteur n’a qu’une envie, que les merveilles de Venise, ses canaux et palais ne changent jamais et restent éternellement les mêmes, autant Carlo Scarpa n’a cessé de moderniser, restaurer et agrandir les bâtiments historiques de sa ville bien-aimée.
Le fait que son travail ait souvent consisté en des interventions dans des bâtiments préexistants plutôt qu'en la création de nouvelles structures explique sans doute le relatif anonymat de son art. Pendant que ses contemporains et amis, tels que Frank Lloyd Wright et Louis Kahn, brillent au firmament de l'architecture contemporaine.
Mais Carlo Scarpa a choisi une autre voie dans son approche artistique : réconcilier les contraires. Le passé et le modernisme, les bétons rugueux et les marbres centenaires, la feuille d'or au creux d'une pierre brute, la fraîcheur des formes et les eaux émeraude du Grand Canal.
"L’architecture est un langage très difficile à comprendre – il est mystérieux, contrairement à la musique qui est immédiatement compréhensible."
Des réalisations audacieuses et délicates
À la Querini-Stampalia (1961-1963), Scarpa a travaillé dans le cadre d'un palazzo du XVIe siècle, qui abrite la Fondazione, sa bibliothèque et sa collection d'œuvres d'art. La rénovation du rez-de-chaussée - auparavant inutilisable en raison d'inondations périodiques - et du jardin allait à l'encontre de l'idée de "restauration" qui prévalait à l'époque. Scarpa a transformé les espaces intérieurs et extérieurs du bâtiment avec une délicatesse et une précision remarquables !
L'entrée principale du musée, par exemple, est un chef-d'œuvre de conception. Carlo Scarpa a imaginé un parcours fluide à travers les différentes salles, utilisant des matériaux comme le marbre, le bois et le verre pour créer des transitions harmonieuses entre les espaces. Les jeux d'eau et les jardins intérieurs - un concept très Wabi Sabi – créent un effet sublime et rappellent l'importance de l'eau dans la culture vénitienne.
Autre œuvre marquante de l’architecte, le Negozio Olivetti situé sur la place Saint-Marc (1958). Conçu pour l’entreprise de machines à écrire Olivetti, ce petit espace est une merveille d'architecture intérieure. Les escaliers en porte-à-faux, les vitrines suspendues et les jeux de lumière naturelle créent une dynamique spatiale qui guide le visiteur à travers la galerie de manière intuitive et harmonieuse.
Scarpa a également réalisé le pavillon du Venezuela dans les Giardini de la Biennale de Venise (1954-1956) qui peut surprendre par sa forme massive de béton aux larges baies vitrées. Tout comme le pavillon du Japon (1956). Deux exemples frappants d’espaces qui dialoguent avec les œuvres exposées grâce à l’utilisation judicieuse de la lumière naturelle. Nul doute que son expérience de directeur artistique pour Venine, la célèbre verrerie de Murano, ait façonné son goût pour les jeux d’ombre et de lumière.
Un rapport au temps très "scarpien"
Quelle ironie du destin de constater que les œuvres de Scarpa ont à peine été restaurées par les autorités italiennes. Les stigmates du temps peuvent d’ailleurs surprendre : les peintures se fanent, le lierre envahit le béton, et l'eau attaque inexorablement la pierre.
Car l’eau est partout à Venise. Elle se déploie dans un mouvement incessant autour des blocs jetés par Scarpa vers la lagune pour accueillir le monument à la Partisane sur la rive des Sept-Martyrs, le long des jardins du Castello. Elle rouille les fers, entame le verre, tâche le bronze et attaque les ciments. Mais Scarpa dans son rapport obsessionnel et amoureux à la lagune, le devine… le comprend. Un peu comme si le designer avait anticipé dès la conception cette patine, ces stigmates qui vont donner une autre dimension à son œuvre. Un destin de "ruines" contemporaines audacieux dans le contexte de Venise, si menacée par les eaux.
Carlo Scarpa, l'un des architectes italiens les plus passionnants et les plus discrets, est décédé lors d'une visite au Japon en 1978. Son corps a été ramené en Italie et est enterré dans le cimetière qu'il avait construit pour les Brion dans les environs de Venise.
Toujours d’actualité, son œuvre n’en finit pas de renaître à Venise comme en témoigne l’installation récente de la galerie Negropontes dans un hôtel particulier du XVIIᵉ siècle, rénové dans les années 70 par Carlo Scarpa. Dans cet étonnant décor, les menuiseries et ferronneries sont dotées de rotules, d'articulations et de bielles, soigneusement assemblées avec des boulons de cuivre et des rivets.
Le maître vénitien de l’architecture offre ainsi une scénographie exceptionnelle aux œuvres d’artistes contemporains qui prennent vie dans un drôle de mélange entre passé et modernisme.
Carlo Scarpa, une découverte de Venise inédite avec Hiddenist
Pendant notre voyage Chef's Escape Chiara Pavan à Venise, Hiddenist vous a organisé une visite de Venise dans les pas de Carlo Scarpa avec un guide spécialiste de l’architecture italienne. Ce voyage sera aussi l'occasion de découvrir les artisans d’art de la Sérénissime, d’assister à un opéra nomade et de découvrir la lagune de Venise sous un autre angle.
Des découvertes culturelles émaillées de dégustation, de rencontres avec des producteurs de Chiara Pavan, d'atelier culinaire et bien sûr d'un dîner à Venissa sur l’île de Mazzorbo, pour un week-end très gourmet à Venise ou un séjour plus long en Vénétie.
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